Jacques Lemoine & Maurice Eisenbruch

L'exercice du pouvoir de guérison

chez les chamanes hmong et

les maîtres-guérisseurs khmers d'Indochine

Le pouvoir de guérir par simple dissolution ou dénouement du mal, sans qu'intervienne la médecine traditionnelle par les plantes, est une quête ancienne de l'humanité qu'on retrouve sous des formes différentes dans de nombreuses cultures. Dans les deux sociétés que nous avons choisi de comparer, qui n'ont aucun contact historique entre elles et ne partagent aucun héritage culturel, ce pouvoir est exercé, chez les Hmong du Laos et de la Thaïlande, par des chamanes, chez les Khmers du Cambodge, par des maîtres- guérisseurs. Les uns et les autres se prévalent d'un savoir ésotérique dérivé de la Chine pour les premiers, de l'Inde pour les seconds. Ce traitement de la guérison — du point de vue du guérisseur comme du patient — , considéré comme un phénomène holistique dans ces cultures, offre un champ d'observation unique.

Malgré la distance considérable qui sépare les cultures des Hmong, agriculteurs montagnards itinérants sans écriture, et des Khmers, riziculteurs sédentaires de plaine, les premiers, animistes vivant en société tribale, les seconds, bouddhistes hindouisés — avec des résurgences animistes importantes — , héritiers d'une des plus anciennes structures étatiques de la péninsule indochinoise, il nous est apparu, au cours d'un travail collectif sur les techniques de communication avec l'invisible1, que le mode de communication entre le chamane hmong ou le guérisseur khmer et le malade relevait dans les deux cas de modèles homologues. C'est cette homologie et ce qu'elle implique pour l'intelligence des mécanismes par lesquels le chamane ou le guérisseur établit son pouvoir de guérir, identifie la maladie de son patient et finalement le guérit par l'efficacité symbolique de son intervention, que nous présentons ici.

L'Homme 144, oct.-déc. 1997, pp. 69-103.